LaTribuneSurMonOrdi

AFFAIRE ELGHAWABY : ON A « L’ÉPIDERME SENSIBLE »

MICKAËL BERGERON

On pourrait s’obstiner sans fin sur les propos d’Amira Elghawaby, la nouvelle représentante fédérale pour lutter contre l’islamophobie.

Ceci dit, je nous trouve l’épiderme sensible.

Sa phrase n’est pas aussi directe que certaines personnes l’ont rapporté. Elle a dit, en 2019, que « la majorité des Québécois [semblaient] influencés non pas par la primauté du droit, mais par un sentiment antimusulman. »

Elle n’a pas dit que tous les Québécois étaient islamophobes, mais que la majorité était influencée par des idées islamophobes. Ce qui est quand même différent.

Être influencé par quelque chose et être quelque chose, ce sont deux choses distinctes. Nous sommes, par exemple, grandement influencés, au Québec, par la culture américaine, ça ne fait pas de nous des Américains ou des Américaines pour autant.

La nuance n’est pas anodine ou juste sémantique.

Est-ce que le Québec a été influencé par des idées racistes pendant le débat sur la loi 21? Oui!

On a vu une multiplication de manifestations de groupes racistes, comme La Meute, Atalante et d’autres. Au point que la montée des groupes identitaires a été au coeur de plusieurs reportages.

J’ai couvert la manifestation où les gens de La Meute ont été coincés dans un stationnement sousterrain à Québec parce qu’il y avait une autre manifestation contre eux à l’extérieur. C’était tendu!

Que ce soit avec des personnes invitées, des animateurs ou certains chroniqueurs, il y en a eu des propos islamophobes dans l’espace public. Plus qu’à une autre époque.

Certaines personnes vont juger que leur influence était minime, d’autres que leur influence était énorme, on peut argumenter sur l’impact de ces idées dans l’espace public, mais ces discours étaient bien là.

Et ça, Amira Elghawaby n’est pas la seule à l’avoir évoqué. Le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence l’a souligné. Comme d’autres organismes. Il y a eu des recherches sur ces mouvements. Les données montrent aussi qu’on a connu une hausse de crimes haineux et racistes dans cette période.

Je ne sais pas comment vous voulez appeler ça. Un mouvement? Un courant? Une montée? Amira Elghawaby a utilisé le mot influence.

Sa façon de le dire a peut-être été malhabile, peut-être, mais faut pas se mettre la tête dans le sable non plus et se faire croire qu’il n’y a pas eu une montée de propos et de comportements haineux envers les communautés musulmanes ces dernières années.

Je soulignerai cette petite incohérence, ceci dit. Le gouvernement du Québec considère que les excuses d’Amira Elghawaby ne sont pas suffisantes et exige sa démission. Pourtant, le même gouvernement a jugé suffisantes les excuses de Jean Boulet lorsque le ministre a lâché des propos racistes, il y a quelques mois, rejetant les appels à la démission.

UN RÔLE INGRAT

J’ai envie d’aller un peu plus loin que le débat sur la sémantique et les intentions. Un débat qui ne peut que se terminer en queue de poisson.

Admettons qu’elle quitte son poste ou que Justin Trudeau

change d’avis. Que va-t-il se passer après?

Le rôle de ce poste est littéralement de lutter « contre l’islamophobie, le racisme systémique, la discrimination raciale et l’intolérance religieuse ».

La simple existence de ce mandat signifie que le gouvernement fédéral reconnait le racisme systémique, contrairement au gouvernement québécois. Et qu’il veut l’éliminer.

Le gouvernement Trudeau ne donnera jamais ce mandat à une personne qui nie le racisme systémique. Juste ça, c’est suffisant pour choquer et déranger le gouvernement Legault.

Même avec l’approche la plus positive possible, c’est inévitable que cette personne nomme et souligne les dynamiques qui participent au racisme systémique, et ça, ça se peut que ça inclut des mouvements populaires, des politiques, des influences externes. Des trucs qui se passent au Québec.

Le gouvernement du Québec va-t-il exiger la démission chaque fois que cette personne va faire son travail en proposant des solutions pour diminuer le racisme systémique? La population va-telle se choquer chaque fois que la mandataire va partager une inquiétude?

Quelle marge de manoeuvre a cette personne?

C’est comme si un couple consultait une psychologue pour régler quelques tensions, mais qu’une des deux personnes dans le couple refusait que la psychologue nomme ces tensions. Le problème ne se règlera jamais.

Peu importe qui va remplir ce mandat, cette personne ne dira jamais que tout va bien et que l’islamophobie n’existe pas. Du moins, pas tant que ce sera présent dans notre société.

Et j’ai l’impression que pour bien du monde, c’est bien plus ça le problème, plus que Amira Elghawaby.

LA UNE

fr-ca

2023-02-04T08:00:00.0000000Z

2023-02-04T08:00:00.0000000Z

https://latribune.pressreader.com/article/281616719518774

Groupe Capitales Media