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Le c… bordé de nouilles

LISE RAVARY Le Droit

La sinistrose, vous connaissez? Ce mot qui décrit ce sentiment actuel que tout, mais tout, va mal, que la civilisation occidentale est au bord de l’effondrement, que la planète va bientôt se désagréger dans un grand nuage de poussière, que nous titubons vers l’abîme de la ruine, bref que l’Homo Sapiens achève son tour de piste dans l’Histoire et qu’il ne laissera dans son sillage qu’un gros rien cosmique.

Nous avons le piton collé entre catastrophe et fin du monde sans même évoquer l’environnement.

Il y a même des choses contre lesquelles nous sommes impuissants : il ne se passe pas une semaine sans qu’on nous parle d’un astéroïde qui va frôler la Terre et, qui sait, pourrait la frapper de plein fouet, comme ce météorite géant qui s’est écrasé au Yucatan il y a 65 millions d’années entraînant la disparition des dinosaures.

Et, plus concrètement, la guerre en Ukraine pourrait s’étendre.

Tout peut arriver. Nous pourrions être heurtés par un véhicule en traversant la rue. La vie, on le sait mais on ne veut pas le savoir, est une condition mortelle.

Je refuse de vivre dans un état de sinistrose permanent. J’aime trop la vie pour marcher la tête basse, le pas lourd, les épaules affaissées, l’oeil torve, découragée, au désespoir. Au moins, lorsqu’on fait face aux difficultés de la vie, on se sent vivant, aux aguets, en mode survie s’il le faut, mais cela n’est-il pas mieux que de se passer son temps à se plaindre que tout va mal, qu’on n’y peut rien, une autre façon de dire qu’on ne vaut rien?

Je ne fais pas l’autruche, mais j’essaie aussi de voir les choses par l’autre bout de la lorgnette. Quand je travaillais au magazine L’actualité dans les années 80, alors que le pays connaissait une période de chômage, mon patron de l’époque, le légendaire rédacteur en chef Jean Paré, m’avait dit « oui, il y a 20 % de chômage, mais nous oublions que 80 % des gens travaillent ». Ce constat n’empêche pas d’avoir de la compassion pour ceux qui en arrachent et de s’activer à changer les choses.

L’éducation va mal, c’est vrai, mais la majorité des étudiants terminent leurs études. Une fois adultes, la plupart auront une carrière, une famille, un toit, deux autos et trois ordinateurs. Leurs enfants, pour la plupart, ne seront ni intimidateurs ni agressés. Des jeunes qui se battent à coup de marteau dans la cour d’école font peut-être la manchette, mais n’allons pas croire que c’est monnaie courante.

Notre système de santé traverse une crise, certes, mais guérit néanmoins des milliers de gens tous les jours.

Malgré un rebond pendant la pandémie, la pauvreté recule dans le monde. C’est l’ONU qui le dit, pas moi. Il y a quelques jours, le New York Times racontait l’histoire d’un économiste de la Banque mondiale, Alan Piazza, qu’il s’était rendu dans la région de Ningxia, en Chine en 1990. Il y avait découvert ce qu’il avait appelé une « impossible pauvreté ». Les gens vivaient dans des trous arrachés au paysage, sans eau courante, sans électricité. Il n’y avait ni écoles ni hôpitaux. L’économiste chevronné ne voyait pas comment les conditions pourraient s’améliorer.

Il y est retourné en 2016. Ce qu’il a vu l’a renversé : les gens habitaient des maisons en brique avec confort moderne. Les enfants fréquentaient l’école. Les sols avaient repris du tonus grâce à des politiques agricoles éclairées. L’enrichissement de la Chine s’était rendu jusqu’au Ningxia. Bientôt, ce sera l’Inde.

Nous vivons plus vieux et nous sommes plus instruits que jamais, l’État offre des montagnes de programmes pour surmonter les difficultés de la vie.

Rien n’est parfait. La misère existera toujours, mais nous sommes plus conscients des inégalités que nous ne l’avons été depuis que le monde est monde. Nous pouvons agir à notre échelle.

Mais, apeurés, nous nous réfugions de plus en plus dans nos cocons pour échapper à la morosité systémique. Le bonheur ne se conjugue plus qu’au « je »; nous croyons de moins en moins au pouvoir du « nous » – c’est notre plus grande faiblesse.

Nous vivons dans une telle « abondance » que nous ne savons plus reconnaître ce que nous devons protéger à tout prix, incluant le pouvoir de changer ce qui ne va pas.

OPINIONS

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2023-02-04T08:00:00.0000000Z

2023-02-04T08:00:00.0000000Z

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