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Une question de perceptions, madame la ministre ?

YVON LAPRADE CHRONIQUE Collaboration spéciale

Le diable est aux vaches – et je ne parle pas de celles qui ont gambadé pendant des mois à Saint-Sévère... – au village du conteur Fred Pellerin. Le budget 2023 n’a toujours pas été adopté, le directeur général Pierre Piché est introuvable, le conseil municipal ne sait plus à quel saint se vouer.

Ça ne va pas bien. À vrai dire, ça va plutôt mal dans ce village de 1934 habitants qui avait pourtant remporté, il y a un peu plus de 10 ans, un prix hommage lors des Grands prix de la ruralité.

De village modèle de la ruralité, Saint-Élie-de-Caxton est devenu, l’espace de quelques années, le village de l’instabilité politique. Qui est à blâmer?

Dans un rapport à la fois troublant et éclairant, le Protecteur du citoyen écrivait noir sur blanc, en mars 2022, que Québec aurait dû intervenir pour faire le grand ménage à l’hôtel de ville sous l’exadministration du maire Robert Gauthier.

Comment se fait-il alors que Québec n’ait pas bougé? Comment expliquer que le gouvernement ait laissé pourrir la situation en dépit des demandes répétées d’un groupe de citoyens qui réclamait, dès 2018, des actions immédiates pour mettre un terme au climat toxique au sein de l’appareil municipal?

Il était alors question, comme l’a décrit mon collègue Martin Lafrenière, du Nouvelliste, « d’actes répréhensibles allant de l’abus de pouvoir à du conflit d’intérêts présumément commis par des élus ».

Souvenons-nous que ce dossier avait été porté à l’attention du Commissariat à l’intégrité municipale et aux enquêtes (CIME). Souvenons-nous, aussi, de la visite de courtoisie de la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, le 20 août 2020, à Saint-Élie-de-Caxton.

« Il y a une perception qu’il faut changer », avait-elle déclaré à l’issue de sa rencontre privée avec le maire Gauthier et sa bande.

Tout sourire, elle était sortie de cette rencontre « rassurée » par ce qu’elle avait entendu... Un peu plus et elle chantait : « Tout va très bien, madame la marquise! »

Le député de Maskinongé, Simon Allaire, s’était montré tout aussi jovialiste en déclarant, et je cite : « J’ai senti des gens très à l’aise de discuter avec nous. Ce sont des gens passionnés, dynamiques, qui ont le désir de faire avancer la municipalité, c’est un moteur économique important. »

Il considérait alors qu’il fallait « arrêter de jouer avec les perceptions ».

Fin de la citation.

LA SUITE

Deux ans et demi plus tard, quelle est maintenant la « perception » de la ministre et du député local? Considèrent-ils que Saint-Éliede-Caxton est un village modèle du point de vue de sa gestion administrative?

Comment expliquer que le directeur général soit en congé avec solde et que le conseil municipal ait dû avoir recours aux services d’une firme d’avocats pour régler ce dossier de fin de contrat?

Comment expliquer que les élus en poste aient découvert un « trou financier » qui fait craindre des hausses de taxes foncières qui s’annoncent salées? Très salées?

Saint-Élie-de-Caxton n’est pas l’unique municipalité à vivre des moments de tension. Ailleurs au Québec, des citoyens lèvent le drapeau sans succès pour tenter de dénoncer des comportements condamnables de la part de certains élus un peu trop portés à la dépense en ces temps de compressions économiques.

En Estrie, la municipalité de Potton (un peu plus de 2000 habitants), où se trouve la montagne de ski Owl’s Head, vient de décréter une hausse de taxes foncières de plus ou moins 25 %.

Les citoyens sont montés au créneau pour réclamer de nouveaux calculs et une intervention... de Québec. Il faudra voir si leur demande sera entendue.

Il y a quelques jours, Saint-Boniface, en Mauricie, a annoncé une hausse de taxes de moyenne de 15 %. Petit détail non négligeable : le budget a été présenté à « haute vitesse » lors d’une séance publique du conseil sans que les citoyens ne puissent mettre la main sur des documents écrits, et sans éléments visuels, ce qui aurait permis de mieux comprendre la répartition des augmentations.

Il semblerait qu’on a manqué de temps pour faire imprimer les documents...

LA TUTELLE?

Le monde municipal vit des moments difficiles. On l’a écrit et on va le répéter : ça ne se bouscule pas au portillon quand vient le moment de recruter des candidats de talent aux postes de maire et de conseiller.

Les salaires sont souvent faméliques et la pression, parfois insoutenable.

Le monde municipal tient à son autonomie et c’est tout à fait défendable. Il faut laisser les villes et les municipalités gérer leurs affaires sans toujours avoir à demander conseil aux hauts fonctionnaires, à Québec.

Mais quand ça ne va pas, comme c’est le cas à Saint-Éliede-Caxton, il faut qu’il se passe quelque chose, et vite!

Quel sort attend maintenant le village qui attirait 54 000 « touristes » par année au milieu des années 2010?

À quoi peut-on s’attendre de la ministre des Affaires municipales lors de sa prochaine visite à l’hôtel de ville de Saint-Élie?

Affichera-t-elle le même sourire à l’issue de sa rencontre avec les élus locaux?

Nous sommes au mois de février et, faut-il insister là-dessus, la municipalité n’est pas parvenue à déposer son budget pour l’exercice en cours.

Pas de budget, pas de revenus. Entre-temps, il faut continuer de payer les employés. Les factures s’accumulent. La tension monte d’un cran.

Saint-Élie-de-Caxton risque-telle la tutelle?

Après avoir été citée en exemple pour son dynamisme communautaire et ses initiatives citoyennes, ce serait là un bien triste dénouement.

Peu importe ce qui va se produire au cours des prochaines semaines, une chose est claire : si Québec avait bougé quand c’était le temps, nous n’en serions pas là, en 2023.

Espérons que ça servira de leçon, le jour où des citoyens inquiets, dans une municipalité près de chez vous, demanderont de l’aide et une écoute empathique.

AFFAIRES

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2023-02-04T08:00:00.0000000Z

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