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Voir Montauk ou les vertus de l’utopie

DANIEL CÔTÉ Le Quotidien

SAGUENAY — Une mère en crise. Dépression sévère qui débouche sur une hospitalisation dans une unité psychiatrique. Elle combat à sa manière, souvent couchée, truffée de médicaments aux noms exotiques. Un abîme de souffrance auquel assiste sa fille, qui partage sa détresse, sans toutefois parvenir à l’atténuer. Telle est la prémisse de Voir Montauk, un récit de Sophie Dora Swan publié par la Peuplade.

C’est seulement à la page 20 que l’espoir renaît, ténu, à la faveur d’une demande incongrue : la mère veut voir l’océan, voir Montauk, et même si ce voyage sur la côte est des États-Unis semble hautement improbable, quelque chose arrive. Les rapports se détendent, sur fond de crise permanente. La fille, qui est aussi la narratrice, découvre les vertus de l’utopie utile.

« On peut se demander si le fait ne pouvoir y aller pose problème ou pas. La question la plus importante, cependant, est de savoir ce que ça engendre d’imaginer Montauk. Ça induit de la force, une sorte d’espoir, en même temps qu’une forme de déplacement pour la narratrice, dès que Montauk apparaît dans le paysage », explique l’écrivaine.

Le livre est fait de poèmes, de notes qui pourraient provenir d’un journal personnel, ainsi que de longs passages en prose épousant la forme d’un récit. La tentation d’assimiler tout ceci à un témoignage est grande, mais Sophie Dora Swan insiste : « Même si ça part d’une expérience personnelle, il s’agit d’une oeuvre littéraire. Par conséquent, il faut me distinguer de la narratrice », fait-elle observer.

L’HÔPITAL : LE PROBLÈME

Une chose que fait ressortir Voir Montauk, c’est à quel point l’hôpital, cette machine à guérir, fait aussi partie du problème. « Je traverse le corridor qui me mène à toi, j’entends la détresse qui rase les murs, je frôle le désastre qui dessine les corps. Un couloir abyssal éclairé aux néons et parsemé de plateaux-repas, un silence de fin du monde », souligne ainsi l’écrivaine, dont la vie se partage entre la Suisse et le Québec.

« À l’hôpital, la narratrice est placée dans la contrainte, puisque avec une personne gravement malade, les canaux de communication sont coupés. En se projetant à Montauk, elle peut ouvrir un nouveau canal où, au lieu de juste écouter, de rester dans le silence, elle parvient à se transposer dans une réalité différente », met en relief Sophie Dora Swan.

Elle estime que son livre touchera plusieurs personnes veillant sur des proches en difficulté, sans égard à la maladie en cause. La vulnérabilité des deux protagonistes est très manifeste. Quand la mère n’en peut plus de souffrir, qu’elle demande à sa fille d’explorer l’ultime option par exemple, les deux font l’expérience du renoncement. L’une par nécessité. L’autre par amour.

« Je crois en la portée universelle de ce livre, au fait qu’il peut résonner avec les gens, engager un dialogue avec les expériences des autres, affirme l’écrivaine. Comment faire face à ce qui arrive lorsqu’un proche est confronté à une maladie très grave, avec de grandes souffrances? À la peur, accompagnée d’une solitude immense? »

JOLI COLIS

Il aura fallu ce sujet délicat, où trouver le ton juste ne coule pas de source, pour amener Sophie Dora Swan à contacter une maison d’édition. Le fait que des personnes ayant lu le manuscrit aient poussé l’autrice à le faire a donné à celle-ci la confiance nécessaire pour franchir ce pas.

« Je l’ai fait à l’ancienne. Comme la Peuplade aime recevoir des versions papier, j’ai fait un joli colis que j’ai envoyé par la poste », relate l’autrice d’un ton enjoué.

Elle est fière que son texte ait été accepté, alors que la maison basée à Chicoutimi ne la connaissait ni d’Ève ni d’Adam. Assimilant à un cadeau le fait de se voir publiée, l’écrivaine apprécie aussi l’approche personnalisée que préconisent la directrice littéraire Mylène Bouchard, de même que Paul Kawczak, membre de l’équipe d’édition.

« Ces personnes ont ouvert une nouvelle fenêtre sur le texte. Notre travail a été fertile », rapporte Sophie Dora Swan, qui n’attend que l’occasion de prendre la route (ou l’avion) pour appuyer son livre. Et qui sait? Peut-être qu’un jour, entre salons du livre et librairies, elle fera un détour à Montauk. Ce serait la moindre des choses.

« Je crois en la portée universelle de ce livre, au fait qu’il peut résonner avec les gens, engager un dialogue avec les expériences des autres.»

— Sophie Dora Swan

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2023-02-04T08:00:00.0000000Z

2023-02-04T08:00:00.0000000Z

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