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Sur les traces de son père en Italie

Claude Dallaire découvre par hasard tout un pan de vie lié à la Seconde Guerre mondiale

ISABELLE PION isabelle.pion@latribune.qc.ca

ORFORD — Sans le savoir, Claude Dallaire roulait en Italie à quelques pas des terres où son père s’est battu pendant la Seconde Guerre mondiale. Comme pour bien des vétérans, ce pan de sa vie était un sujet tabou.

Claude Dallaire, syndicaliste aujourd’hui retraité, également connu pour son rôle de porteparole dans SOS Parc Orford, est un maniaque de vélo. Sa passion l’amène au fil des ans à aller rouler en sol italien.

Claude Dallaire savait que son père s’est battu pendant la Seconde Guerre mondiale : il n’avait cependant que très peu de détails.

« Quand j’était petit, il me disait qu’il avait fait la guerre en Italie. Il avait des médailles... Il ne me parlait pas beaucoup parce qu’il pleurait beaucoup. La guerre a été dure, les gens sont marqués… » raconte-t-il en soulignant que sa mère l’avertissait de ne pas aborder ce sujet.

Le fils unique avait donc fermé la porte à double tour sur cet épisode de la vie de son père, Lucien Dallaire. Ce dernier décède à 67 ans en emportant ses secrets de combattant avec lui, alors que son fils unique a 26 ans.

« ÇA A OUVERT QUELQUE CHOSE »

Une porte s’est toutefois entrouverte il y a quelques années, quelque part en 2015.

Claude Dallaire séjourne dans un hôtel pour cyclistes à Riccione. Le mari de la copropriétaire lui apprend qu’il y a une activité de commémoration entourant la bataille de Rimini tout près. La percée de la ligne gothique (voir autre texte) entre août et décembre 1944 est d’ailleurs décrit comme « le plus grand exploit militaire canadien pendant la campagne d’Italie ».

« Il y avait beaucoup de jeunes, se souvient Marie-Josée Forget, qui partage la vie de Claude Dallaire depuis 25 ans. J’ai demandé s’ils étaient là parce qu’il y avait un cours d’histoire obligatoire. On m’a dit que les gens étaient là parce qu’ils sont très reconnaissants. Pour eux, c’est important la libération. Tout d’un coup, on dit qu’il y a dans l’assistance un fils de Canadien qui a débarqué en Italie en 1944. Ils se lèvent tous debout et ils applaudissent… »

« Les années où j’allais faire du vélo, on est allé quatre fois je pense, je ne savais même pas… » lance celui qui est encore happé par ce hasard de la vie.

À son retour, il écrit aux Anciens combattants afin de connaître le parcours de son père. Il reçoit alors un document détaillant son passé militaire.

« Je découvre que mon père débarque en Italie en novembre 1944. Je fouille, je me mets à aller sur internet… Je m’aperçois que mon père s’est battu là, exactement là [dans la région de Rimini]. C’est quoi ce hasard de la vie? »

Lucien Dallaire a traversé en Angleterre en juillet 1944 et a ensuite débarqué avec les Alliés en Italie. Il est blessé par un éclat de mine en janvier 1945. Il retourne sur le champ de bataille à Marseille en mars 1945. Il remonte ensuite aux Pays-Bas et en Allemagne, avant d’être rapatrié au Canada en septembre 1945.

Le temps passe, mais Claude Dallaire sait qu’il veut retourner en terre italienne. La vie continue, la pandémie survient, repoussant cette quête à plus tard. Il prend contact avec une association de résistants anti-fascistes et antinazis, qui lui dit qu’elle aimerait le recevoir.

L’invitation survient alors qu’il prévoit déjà un voyage de vélo en mars 2023.

Pendant deux jours, le citoyen d’Orford est reçu comme l’est un dignitaire… même si ce n’est pas lui qui a combattu, rappelle-t-il à plusieurs reprises.

« Ils m’ont amené sur les sites où

mon père s’est battu, où il y avait des Canadiens enterrés. » Il passe notamment par Cattolica et Rimini en Émilie-Romagne, aux abords de la mer Adriatique.

La voix de Claude Dallaire casse lorsqu’il parle du « bout le plus dur à raconter », survenu lors d’un événement de commémoration.

« Il y a des photos et des films où il y a une petite fille de 10 ans assise sur des soldats canadiens quand ils ont libéré Rimini, dans la période où mon père était là… Là, on me présente une femme de 90 ans. C’est elle sur la photo [l’enfant de 10 ans].

« Elle me remercie en italien. Elle est toute petite, moi je pleure. Ça n’a pas de bon sens : comment ça se fait que l’histoire me fait vivre ces affaires-là? Je n’ai pas été préparé pour ça », raconte M. Dallaire, très ému et épaulé par son amoureuse, qui doit parfois poursuivre le récit des événements à sa place.

CLORE UN CHAPITRE

« C’est comme un rêve ce que j’ai vécu. Je ne pensais pas qu’on me recevrait comme ça; je ne connaissais pas tous les détails... »

Dans un musée, un homme a sorti des archives avec le nom des soldats canadiens. Le nom de Lucien Dallaire y figurait.

Le cycliste voyageur souligne qu’il a peut-être vu au cimetière les noms de soldats qui ont combattu aux côtés de son père, certains de ses chums. Seulement, il ne connaît pas leurs noms.

« Il me disait que des chums étaient morts à côté de lui parfois (...) J’ai vu plein de noms québécois… il y a peut-être des amis à Lucien qui étaient là… Il aurait pu être là et moi je ne serais pas là. »

Une commémoration doit avoir lieu en 2024 pour souligner le 80e anniversaire de la libération de Rimini. Claude Dallaire attend le feu vert de l’association en charge de cet événement, mais il aimerait retracer des Québécois dont les pères se sont battus là-bas.

La porte qui s’est entrouverte dans un hôtel pour cyclistes aura en quelque sorte permis de clore un chapitre jamais terminé.

« Claude disait : c’est un peu comme une conversation avec mon père. La conversation qu’ils n’ont pas eue, Claude l’a eue comme ça », souligne Marie-Josée Forget.

« J’étais bouleversé… Ça a ouvert quelque chose. Je boucle la boucle et ça m’a fait du bien », indique Claude Dallaire, qui y voit un cadeau extraordinaire de la vie. « C’est comme faire un bout de vie que je n’ai pas pu faire avec lui que je fais comme ça. »

LA UNE

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2023-06-03T07:00:00.0000000Z

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