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QUÉBEC SOLIDAIRE ENTRE STATU QUO ET AUDACE

MICKAËL BERGERON

Selon Gabriel NadeauDubois, la houle des dernières semaines démontre que la lune de miel de la Coalition avenir Québec est officiellement terminée. Le co-porteparole de Québec solidaire va même jusqu’à évoquer un début d’usure du pouvoir.

Évidemment, le premier mandat a été marqué par la pandémie, une période où François Legault était « très très présent » et où les oppositions avaient peu de place. En période de crise, la population se rallie généralement au leader, on s’obstinera après. La pandémie terminée, les chicanes ont repris.

« Là, ce sont les promesses brisées, comme la réforme du scrutin, le troisième lien, ou des promesses qui n’avancent pas, le logement, l’accès aux soins de santé, les places en CPE », juge Gabriel Nadeau-Dubois.

On a pu voir un gouvernement bougonneur ces derniers temps. Comme Bernard Drainville quittant le Salon bleu après une question de la députée libérale Marwah Rizqy. Le premier ministre lui-même est sorti de la chambre en rouspétant ces derniers jours.

Voir un ministre sortir au lieu de répondre à une question, c’est plutôt inusité. C’est comme si la CAQ découvrait qu’avoir une forte majorité ne rendait pas l’exercice plus facile et ne protégeait pas des critiques.

« François Legault n’aime pas la critique, pas du tout, poursuit Gabriel Nadeau-Dubois. Je pense que ce style de leadership teinte l’attitude de tout le conseil des ministres et de tout le caucus de la CAQ. On a un premier ministre allergique à la critique et c’est ça qui est derrière ses impatiences, ses apostrophes. »

Une autre particularité, c’est que les plus vives tensions ne concernent pas un enjeu important ou majeur, mais l’augmentation du salaire des parlementaires. Mettons qu’on aimerait voir autant d’énergie pour la crise du logement ou la crise climatique.

ÉVITER LE PIÈGE

Une des principales raisons pour lesquelles la CAQ a fait élire autant de personnes l’automne dernier est la faiblesse de l’opposition. Chacun des partis d’opposition rejoint un public trop ciblé. Si Québec solidaire n’est pas en reconstruction comme le Parti libéral ou le Parti québécois, le piège du plafonnement l’oblige lui aussi à se transformer, à évoluer.

Les solidaires n’ont jamais caché leur déception devant les résultats électoraux de l’automne, mais le choc était plus grand que celui partagé publiquement. Dans les discussions privées, plusieurs ne cachaient pas leur découragement. Au point de remettre en question leur implication.

La députée de Sherbrooke, Christine Labrie, écrivait sur Facebook, le 12 mai dernier : « Dans les derniers mois, j’ai vécu des moments difficiles. Cet automne surtout, après les élections. Bien sûr, j’étais fière d’avoir été réélue, mais le résultat général m’a happée de plein fouet, et c’est mon espoir qui était blessé le plus profondément. » Pour elle aussi, le coeur y était moins.

« À l’interne, on s’en est parlé sans arrêt [des résultats] », ajoute la députée. « Je suis en politique pour changer les choses », poursuit-elle. Était-elle au bon endroit pour changer le monde? Après réflexions, elle considère être à la bonne place.

La motivation de Christine Labrie semble effectivement revenue. Comme celle d’une partie de Québec solidaire, aussi. « Je ne cacherai pas que la victoire dans Saint-Henri-SainteAnne a été un point tournant », admet Gabriel Nadeau-Dubois. Il considère que l’équipe solidaire a retrouvé son enthousiasme. Le parti a dû « retomber sur ses pattes ».

Évidemment, il rappelle que si les résultats n’ont pas été à la hauteur des « espoirs », le parti a quand même, aujourd’hui, deux députés de plus qu’il y a un an. « Je ne dis pas ça pour sous-estimer le travail à faire pour 2026, précise le co-porte-parole, mais on a du potentiel, on est capable de gagner, on est capable d’avancer. »

Au fédéral, le NPD n’arrive jamais à profiter des chutes des autres partis pour s’imposer. Que ce soit lorsque le Parti libéral du Canada s’embourbait dans le scandale des commandites ou lorsque la droite était divisée en plusieurs partis, le NPD n’a jamais pu s’imposer, excepté lors de la vague orange en 2011.

Aux dernières élections, le Parti libéral du Québec avait de la difficulté à recruter des candidatures dans des circonscriptions traditionnellement libérales et plusieurs se demandaient si le Parti québécois allait survivre. Malgré un contexte favorable, les solidaires n’ont pas réussi à en tirer un avantage et à devenir l’opposition officielle.

Plus encore, alors que le Parti libéral est au coeur d’une crise existentielle et que le Parti québécois n’a que trois députés, Québec solidaire n’a pas réussi à s’imposer autant que lors du dernier mandat, où il avait souvent des airs d’opposition officielle — le choc postélectoral probablement. Même que les péquistes ont remonté dans les intentions de vote, au point d’être deuxièmes — avec une faible avance, mais tout de même. QS est-il pris dans le même piège que le NPD?

Gabriel Nadeau-Dubois concède que son parti devra travailler fort, entre autres pour sortir des milieux urbains, que ce soit les régions ou les banlieues. Le parti aimerait que la fameuse tournée des régions annoncée soit un réel exercice, pas seulement un jeu de relations publiques. « On ne fait pas cette tournée pour écrire nos communiqués de presse différemment, insiste le député de Gouin. Un de mes objectifs c’est qu’on sorte de notre chambre d’échos. Après cette tournée-là, QS va avoir changé. »

Ne cherchez pas les dates de cette tournée, elles ne sont pas encore annoncées. Le parti prend son temps pour la préparer.

Pour Christine Labrie, élue dans un milieu urbain situé en région, le défi n’est pas seulement régional, mais aussi générationnel. « Il y a un angle mort dans ce débat, c’est la question de l’âge. » La députée de Sherbrooke souligne que les 55 ans et plus sont la tranche d’âge qui vote le moins pour son parti, mais cette population est proportionnellement plus présente en région que dans les centres urbains. Selon elle, une des portes d’entrée pour les banlieues et les régions est de créer un lien de confiance avec celles et ceux qui ont plus de 55 ans.

PORTER LA PAROLE

Un des dossiers qui occupera l’automne prochain est la course pour devenir co-porteparole féminin, puisque Manon Massé souhaite passer ce flambeau. La députée de Mercier, Ruba Ghazal, a déjà annoncé son intention de présenter sa candidature. L’ex-députée

de Rouyn-Noranda-Témiscamingue, Émilise Lessard-Therrien, dit être en réflexion, tout comme Christine Labrie.

La Sherbrookoise mentionne que c’est une réflexion de longue date. On peut facilement imaginer qu’elle a déjà dû y penser lorsqu’elle se demandait si elle était au bon endroit pour changer les choses. Elle va annoncer ses intentions d’ici l’été.

Pour Christine Labrie, c’était important d’avoir le pouls des membres. Elle a besoin de sentir qu’elle a l’appui et la confiance des gens. Si on se fie à ces critères-là, les morceaux semblent présents pour qu’elle se lance dans cette course, puisque la députée solidaire jouit d’un bon capital de sympathie et de crédibilité.

Plusieurs personnes considèrent qu’elle pourrait être la voix régionale dont Québec solidaire a besoin, même si Sherbrooke est presque une banlieue de Montréal. « Moi, je n’ai jamais prétendu qu’il faut quelqu’un des régions pour parler des régions, avance Christine Labrie. On peut être de bons alliés si on a la bonne posture. » Elle ajoute que même si sa circonscription est urbaine, sa réalité est très différente de celle de Montréal. Et que toutes les régions ont leur particularité.

Cette parenthèse dite, la députée de Sherbrooke affirme néanmoins se considérer comme une voix régionale et se dit être prête à porter la voix des régions, des voix trop souvent mises de côté, selon elle.

Sans surprise, Gabriel NadeauDubois se garde bien d’afficher une quelconque préférence. Il salue le sérieux, l’expérience et l’engagement de Ruba Ghazal, de Christine Labrie et d’Émilise Lessard-Therrien.

D’ici la fin de la session, le

9 juin prochain, les solidaires semblent vouloir marteler le clou de l’augmentation du salaire des députées et députés. Que ce soit en parlant d’immigration, de la crise du logement, du système de santé, Gabriel Nadeau-Dubois rappelle souvent que personne au Québec « ne se bat pour augmenter le salaire des députés », mais que le premier ministre en a quand même fait une de ses priorités.

Si cet enjeu témoigne d’une certaine déconnexion des caquistes avec la population, il représente aussi le défi de Québec solidaire. C’est facile cogner sur ce clou. Le premier ministre se peinture luimême dans le coin.

C’est facile aussi parce qu’il est moins polémique que l’immigration ou que l’environnement.

Selon un sondage Léger, 74 % de la population est en désaccord avec cette augmentation.

C’est plus dur de résumer dans une phrase punchée l’importance de défendre le français tout en défendant l’importance de l’immigration non francophone et leur intégration. C’est plus difficile, parce que plusieurs nationalistes refusent malheureusement la moindre nuance quand on parle de protection de la langue française. Ce débat divise, peu importe la position.

La CAQ a beau se faire reprocher de manquer d’envergure en environnement, dès qu’un parti comme Québec solidaire propose un plan plus ambitieux, il se fait accuser d’être trop radical. On baigne dans une société qui nous fait croire qu’on peut changer sans rien changer et où la moindre remise en question est vue comme extrémiste.

Sans parler du dilemme pour les solidaires entre les actions actuellement possibles et les idéaux qui cherchent à toujours aller plus loin.

Québec solidaire doit avoir l’air réaliste pour les uns, audacieux pour les autres. La rengaine veut que QS ne soit pas crédible, mais la population ne croit pas plus aux autres partis. Sauf que le statu quo ne demande aucun engagement, contrairement au changement (mot galvaudé en politique, je sais).

Il faudra plus qu’une tournée des régions pour arriver à susciter l’espoir des journées flambant neuves.

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2023-06-03T07:00:00.0000000Z

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