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« Ce sont les médias qui pourraient tout perdre »

SIMON ROBERGE simon.roberge@latribune.qc.ca CANADIENNE

SHERBROOKE — Il n’y a aucun doute dans l’esprit de Bruno Guglielminetti, spécialiste des médias numériques : le bras de fer entre Meta, qui chapeaute les réseaux Facebook et Instagram, et le gouvernement canadien concernant le projet de loi C-18, qui obligerait les géants du numérique à conclure des ententes d’indemnisation équitables avec les entreprises de presse, pourrait avoir d’importantes conséquences pour les médias du pays.

Rappelons que le géant de la Silicon Valley va mener des essais pendant une bonne partie du mois de juin afin d’empêcher certains utilisateurs canadiens de voir les articles, les reels et les stories publiés par les médias d’information sur ses plateformes. Cette première série de tests touchera de 1 % à 5 % des 24 millions d’utilisateurs canadiens de Meta. Le nombre exact de personnes touchées va fluctuer tout au long des essais.

« Officiellement, ce qu’ils font, ce sont des tests parce qu’ils veulent faire une opération plus juste et aiguisée qu’en Australie où ça avait été beaucoup plus sauvage, mentionne M. Guglielminetti, qui anime le podcast d’actualité numérique Mon Carnet. Derrière ces tests se cache essentiellement ce qui pourrait être fait si C-18 devient une loi. Eux ne sont pas du tout intéressés à commencer à partager leurs revenus. »

Les médias traditionnels ont fait l’éloge du projet de loi sur les nouvelles en ligne des libéraux fédéraux, car il leur permettrait d’aller récupérer certaines sommes d’argent perdues ces dernières années au profit des géants du numérique.

Selon Meta toutefois, moins de 3 % des publications vues par les utilisateurs de Facebook sur leur fil d’actualité contiennent des liens vers des articles journalistiques. L’entreprise engrangerait également des « sommes négligeables » en revenus provenant des articles des médias.

« Les médias ne sont pas obligés d’être présents sur Facebook, c’est un service, explique M. Guglielminetti. Les gens ne vont pas sur Facebook ou Instagram pour prendre des nouvelles. Mais les médias à travers le monde savent que les gens vont d’abord sur les réseaux sociaux et à travers tout ça ils essaient d’attirer l’attention. C’est dans ce contexte que Meta mentionne que si les médias ne sont plus là, ça ne changera pas leur vie. »

Bruno Guglielminetti estime que Meta n’hésitera pas à bloquer complètement les contenus journalistiques advenant que C-18 soit adopté sous sa forme actuelle.

« Ce sont les médias qui pourraient tout perdre, résume-t-il. Ce n’est pas le gouvernement qui sera barré de Facebook et les Canadiens savent où aller chercher l’information. Les seules personnes qui vont payer, ce sont les médias. C’est un test aussi pour le gouvernement canadien. Personne ne veut céder au chantage, mais il y a bien des médias qui ne seront pas contents de se faire barrer de Facebook. »

« CONDAMNÉS À S’ENTENDRE»

Meta possède des ententes avec plusieurs médias, dont Le Devoir et les six quotidiens des Coops de l’information (Le Soleil, Le Nouvelliste, La Tribune, Le Droit, Le Quotidien et La Voix de l’Est). Ces ententes ne compensent toutefois pas directement les médias pour les contenus partagés sur Facebook et Instagram comme le propose le projet de loi C-18. Les montants servent plutôt pour l’utilisation de certains articles dans l’initiative News Innovation Test.

Il n’y avait aucune indication vendredi, de part et d’autre, si ces ententes allaient avoir un impact sur les tests réalisés par Meta durant le mois de juin. Geneviève Rossier, directrice générale de la Coopérative nationale de l’information indépendante, estime toutefois que les deux partis sont condamnés à s’entendre.

« Un tiers du trafic de nos sites provient des réseaux sociaux et 95 % de ce tiers provient de Facebook, ça donne une idée de l’importance de cette relation d’interdépendance, mentionne Mme Rossier. Il est essentiel de s’entendre pour la survie de l’information régionale. Les réseaux sociaux sont devenus une partie intégrante de la vie des gens et le dentifrice ne retournera pas dans le tube. »

« On est favorable à C-18 et je trouve bien dommage qu’on soit rendu au point où on doit restreindre l’accès à de l’information, souligne-t-elle. C’est comme si on était un fabricant de voitures et que les gens qui fabriquent les routes s’apprêtaient à ne pas nous laisser circuler. »

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2023-06-03T07:00:00.0000000Z

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