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Rues principales et tissu social

- Jacques Proulx

Longtemps au Québec, on a beaucoup misé sur le développement des secteurs commerciaux en périphérie des centres urbains. On y a installé de grandes épiceries, des commerces de détail à grande surface et plusieurs services. Résultat : à bien des endroits, les coeurs villageois et les centres-villes se sont vidés. « La rue principale », comme on l’appelle dans la chanson des Colocs, qui était naguère un lieu de rencontre et un milieu de vie, a perdu de son lustre.

Or, si vous aimez explorer les villes et les villages du Québec, vous avez sans doute senti un vent de changement depuis quelques années. Les citoyens ont envie de se réapproprier les places publiques, ils misent sur un mode de vie où il est possible de se déplacer à pied et l’intérêt pour les commerces de proximité à échelle humaine est grandissant.

À Granby, depuis 2016, on a mis en place une vaste opération de revitalisation du centre-ville, avec à la clé des incitatifs pour les commerçants qui souhaitent venir s’y installer et avoir pignon sur rue. Pour la mairesse Julie Bourdon, ce projet dépasse de loin les stricts enjeux commerciaux d’un quartier: le centre-ville, c’est comme un coeur qui bat et qui assure la vitalité de l’ensemble de la municipalité.

« La mise en place de centres commerciaux à l’extérieur de notre centre-ville, c’est venu changer la dynamique commerciale. On se rappellera, à l’époque, les gens venaient marcher la rue principale, c’était ça l’activité, c’était un lieu de rencontre, un lieu où les gens échangeaient, socialisaient. Bien évidemment, pour moi, le centreville, ça reste le coeur de la municipalité. Lorsque le centre-ville va bien, l’ensemble des commerces partout dans la ville va aussi bien. C’est donc important pour nous d’investir dans le centre-ville et de faire en sorte que les citoyens viennent se l’approprier. » - Julie Bourdon, mairesse de Granby, trésorière de l'UMQ

Ce désir de revitalisation des centres-villes se vérifie partout au Québec, dans des municipalités de toutes les tailles. On souhaite faire revenir les commerces de proximité, des bureaux où les citoyens travaillent et des services accessibles sans utiliser la voiture. On ajoute aussi des places publiques, des espaces verts et des lieux culturels, bref, c’est tout un terreau social qu’il faut jardiner pour créer de nouvelles pousses.

LE GRAND BONHEUR DES CoeURS VILLAGEOIS

Le même phénomène se produit en milieu rural, où les coeurs villageois sont au centre des préoccupations citoyennes. À ce chapitre, dans la MRC Des sources, en Estrie, le petit village de Saint-Camille fait figure d’exemple. Dans les années 1980, alors que l’ancien magasin général était à l’abandon à la suite d’une faillite, une poignée de citoyens ont formé Le groupe du coin, afin d’amasser les sommes nécessaires pour en faire l’acquisition. C’est ainsi qu’allait naître un fonds citoyen de financement éthique de proximité qui, depuis, multiplie les initiatives afin de maintenir des services et rendre le village attrayant pour les nouveaux venus. L’ancien magasin général a été transformé en espace intergénérationnel de rencontres à vocation communautaire et culturelle au nom teinté de joie de vivre : Le p’tit bonheur de Saint-Camille. Pour Jacques Proulx, un des initiateurs du projet, ce mouvement de la base, pensé par des citoyens, a pu freiner l’exode rural tout en consolidant le tissu social du village.

« On avait une population qui était en baisse constamment, il fallait trouver un moyen de conserver les structures, conserver les services et il fallait augmenter la population. C’est le constat qu’on a fait. C’est pour ça qu’on a décidé d’investir de cette façon-là, pour redynamiser le milieu. C’est ça le constat : on se voyait dépérir comme un peu partout au Québec pour le milieu rural, parce que devant la concentration des activités, on était mis à nu jusqu’à un certain point. » - Jacques Proulx, co-fondateur du Groupe du coin à Saint-Camille

MOBILISATION ET RÉAPPROPRIATION

Si la mobilisation de la population semble plus facile dans une petite communauté comme Saint-Camille, qui compte 550 habitants, il n’en demeure pas moins que le même principe s’applique dans une ville comme Granby, qui en compte plus de 70 000. On ne peut pas simplement créer des infrastructures et du mobilier urbain en espérant que les gens viendront ensuite en profiter. La redynamisation passe par une réappropriation : les citoyens doivent prendre part au projet dès sa conception, ils doivent comprendre que leur centre-ville leur appartient.

« Nous, quand on a commencé, on est vraiment parti de la base en consultant la population. Il fallait poser la question : vous, comment voyez-vous votre centre-ville? Le conseil municipal donnait une vision, mais après, c’est important d’écouter la population, car si ça vient juste d’un groupe de personnes qui impose sa vision, les gens ne vont pas s’approprier le quartier. » - Julie Bourdon

En redynamisant les centres-villes et les coeurs villageois, les habitants des villes et des villages reprennent possession de lieux de socialisation qu’ils avaient un peu abandonnés. Pour Jacques Proulx, qui a constaté au fil des ans les effets positifs au sein de sa communauté, il s’agit là d’une pierre d’assise permettant de bien penser l’occupation du territoire.

« Il faut des projets qui impliquent la population locale. Il faut que les gens s’intéressent, s’impliquent, prennent des responsabilités. Je pense qu’en dynamisant le coeur du village, ça permet de dynamiser le reste du territoire. Ça s’étend comme une tache d’huile. Ceux qui restent dans un rang ou ailleurs, ils font partie de la communauté et à partir de là, ils ont leur fierté et ils veulent participer. »

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2023-06-03T07:00:00.0000000Z

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