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LA SANTÉ EST REVENUE DANS LES RUCHES

JASMINE RONDEAU jasmine.rondeau@latribune.qc.ca

CANTON DE CLEVELAND — Après un difficile printemps 2022, alors que les apiculteurs québécois découvraient les corps inanimés de la moitié de leurs abeilles, les échos sont particulièrement positifs depuis l’ouverture des ruches cette année. Une vitalité des colonies qui fournit certes son lot de motivation aux producteurs, mais qui n’affecte que peu les différentes luttes que ceux-ci doivent toujours mener. « Le coeur nous débattait au moment d’ouvrir les ruches, on ne voulait pas revivre la même chose deux fois », confie Tammy-Lyne Comtois Fortier, copropriétaire de Miel l’été doré, dont l’un des sites de production se trouve à Woburn. L’hiver 2021-2022 avait été éprouvant pour l’entreprise, avec 70 % de mortalité en raison du varroa, cet acarien parasite qui infeste de nombreuses ruches au pays et qui s’y reproduit rapidement, dégradant la santé des colonies.

Cette fois, Mme Comtois n’a compté que 20 % de pertes, soit un taux de mortalité près de la moyenne. « On était très heureux », dit-elle.

« On n’a pas encore les chiffres du ministère de l’Agriculture, mais ce que ‘‘radio corde à linge’’ nous dit, c’est que le taux de survie serait généralement bon », avance Julien Levac Joubert, apiculteur de la Montérégie et administrateur pour les Apiculteurs et Apicultrices du Québec.

Le jeune producteur, qui a démarré sa production il y a cinq ans, a compté 5 à 7 % de mortalité ce printemps. « Ça fait du bien, ça nous permet de poursuivre dans le chemin de la croissance. L’an dernier, on a eu au-dessus de 50 % de pertes. »

« Je pense que tous les apiculteurs ont eu une frousse et ont été très prudents dans les traitements et les dépistages du varroa. L’autre élément qu’il faut prendre en considération, c’est que l’an dernier, avec les pertes qu’on a vécues, beaucoup ont fait de la division de colonies. Ça a été notre cas. Quand on fait ça, on diminue le taux de varroa par unité. »

« EXCEPTIONNEL »

« De grandes colonies comme ça, à ce moment-ci de l’année, c’est assez exceptionnel », se réjouit Alain Péricard, producteur de miel biologique, qui soigne méticuleusement sa quarantaine de ruches sur sa ferme diversifiée du Canton de Cleveland depuis plus de 30 ans. L’an dernier, il avait perdu un peu moins de 5 % de ses colonies. Cette année, pas une n’a succombé au varroa.

« On a un très bon démarrage de saison. Ça s’explique d’une part par les conditions climatiques... et de l’autre par l’apiculteur! » lance-t-il en riant. « Là on nous annonce de la sécheresse, mais il va falloir qu’il pleuve », exprime-t-il cependant.

Visité en la journée chaude de jeudi, M. Péricard montre fièrement ses colonies, bien vigoureuses, qui s’affairent à ventiler les ruches. Certaines sont chargées de battre des ailes près de l’entrée, tandis que d’autres patientent sagement à l’extérieur de la ruche, en « faisant la barbe », question de libérer l’espace à l’intérieur pour mieux évacuer la chaleur, explique le passionné.

Mais rien n’est nécessairement gagné pour l’an prochain non plus. Les efforts devront être maintenus, de même que la résilience devant les impondérables. Il s’agit d’ailleurs d’un métier où le statisme est une grave erreur, insiste-t-il.

« On vit avec le varroa, ou on ne vit juste pas », résume M. Levac Joubert. « On est très très limité au niveau des traitements qui sont offerts pour ce parasite-là. Tout ce qui peut bénéficier à la biosécurité dans la filière apicole, on a besoin de recherche et d’argent pour ça, pour qu’on ait un peu plus d’outils dans notre coffre à outils. Il y a une volonté et un intérêt des chercheurs, mais il faut qu’on puisse garantir un financement pour de la recherche sur le long terme. »

À LA MERCI DU CLIMAT

« Les changements climatiques exceptionnels qu’on vit en ce moment n’aident pas les pollinisateurs, réfléchit Tammy-Lyne Comtois Fortier. Je crois que c’est pour ça qu’on a perdu autant de ruches l’an dernier et pas cette année. L’automne était plus chaud en 2021. » Celle-ci explique en effet que quand les étés s’allongent, non seulement le varroa peut-il davantage se multiplier, mais les abeilles continuentelles aussi de chercher le pollen, sans succès, et s’épuisent.

La productrice de relève place d’ailleurs les changements climatiques au sommet de sa liste de menaces à son entreprise. « Je vois vraiment le mur arriver, ditelle. On est 100 % reliés à la température. Des journées, des mois froids comme on a eu au mois de mai, c’est difficile et ça demande aux abeilles de s’adapter de façon incroyable. Pendant les grosses chaleurs, elles ont besoin de boire beaucoup d’eau. Et je pense que ça vaut pour tous les pollinisateurs. On le voit que le froid a affecté plusieurs cultures ce printemps. »

« IL Y A UNE LIMITE À CE QU’ON PEUT REFILER AU CONSOMMATEUR »

Autre difficulté majeure partagée par les gardiens d’abeilles : la rentabilité. Tous s’entendent pour dire que les temps sont bien difficiles pour la filière.

« La hausse du coût de la vie, on le vit également à la ferme, toutes productions confondues, note M. Levac Joubert, qui représente les apiculteurs à petite échelle au conseil d’administration des Apiculteurs et Apicultrices du Québec. Le prix du carburant, du matériel, le prix du sucre aussi. Parce que pour que nos abeilles passent bien l’hiver, on doit les nourrir avec un sirop de sucre blanc. Le prix du sucre est à des sommets en ce moment. Ça nous pousse à augmenter nos prix, mais il y a une limite à ce qu’on peut refiler au consommateur. »

Pour avoir une rentabilité d’entreprise, la diversification devient un passage obligé, mentionne Mme Comtois Fortier. « Moi, pour pouvoir arriver, je dois donner des ateliers de formation, je vends des nucléus, je fais des conférences, je vends des produits bruts, transformés .... Ça me demande d’être une superwoman, en plus d’être maman deux garçons. »

« Je pense que toutes les entreprises de la base de la chaîne alimentaire, on a peu d’aide. Pour les jeunes et petites entreprises, il y en a vraiment peu. On est sous-financés. Juste un exemple : mes assurances pour être apiculture et faire tous les produits que je fais, me coûtent 8000 $ par année. »

Pour démarrer, le défi est encore plus grand. « Je n’aurais jamais pu le faire si mon père n’avait pas déjà été dans le domaine », partage la productrice.

« C’est assez phénoménal le dynamisme du secteur apicole, estime Alain Péricard, qui forme lui-même de nombreux débutants chez lui en échange de temps de travail. Maintenant, il y a beaucoup d’information approximative qui circule. Beaucoup de gens donnent des cours et laissent croire que c’est facile d’élever des abeilles alors que c’est faux. Et l’investissement est significatif. On conseille de tout acheter neuf pour éviter les contaminations. Une ruche avec des abeilles, c’est à peu près 1000 $, et ça ne produit pas la première année. Ensuite, ça vous prend un extracteur, un réseau de mise en marché... »

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2023-06-03T07:00:00.0000000Z

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