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« C’est totalement injuste » au Canada

JASMINE RONDEAU jasmine.rondeau@latribune.qc.ca

CANTON DE CLEVELAND — Quand Serge Mongeau, auteur de La simplicité volontaire, a talonné son ami Alain Péricard pour qu’il mette sur papier le modèle d’apiculture écologique qu’il a développé dans le Canton de Cleveland, M. Péricard ne croyait pas au marché. «À l’époque, on était 11 apiculteurs bio au Québec. » Après qu’il se soit laissé convaincre, son livre L’abeille et la ruche est aujourd’hui dans les mains de plus de 5000 personnes au Canada et en Europe. Et pourtant, ils ne sont maintenant que neuf producteurs biologiques au Québec.

L’intérêt est là, l’accessibilité non, déplore le propriétaire du Rucher Apis.

« C’est un cas unique le traitement qu’on fait subir à l’apiculture biologique au Canada. C’est totalement injuste », dit celui qui allonge d’ailleurs 2000 $ par an pour sa certification, ce qui augmente également le prix de son miel. « Il faut absolument qu’il y ait une place pour le miel bio au Québec. En Ontario, c’est encore pire, ils ne sont que deux. »

« Si on se compare, on s’aperçoit qu’il y a vraiment un problème et qu’ici, on a des normes qui sont appliquées de façon beaucoup plus stricte que dans d’autres pays, poursuit-il. Ça veut dire qu’on peut se retrouver avec, sur la même tablette, du miel importé d’Europe certifié bio qui va être moins "clean" que du miel québécois certifié bio. Les producteurs maraîchers bio et les producteurs de viande bio n’ont pas des contraintes aussi décalées par rapport aux contraintes qui existent dans d’autres pays concurrents », avance l’homme, qui tente de faire changer les choses depuis quelques années.

Impliqué au sein d’Apiculteurs et Apicultrices du Québec, et notamment après deux ans de travail en vain pour élargir le cercle de producteurs biologiques, M. Péricard plaide ainsi toujours pour un renversement de la vapeur auprès de la Fédération biologique du Canada. « Il y a beaucoup de gens qui ont des convictions et qui souhaiteraient devenir bio, mais qui ne peuvent pas. Cet organisme cherche à avoir des normes d’un océan à l’autre alors que les conditions climatiques ne sont pas les mêmes. Les normes ont été en quelque sorte manipulées par un certain nombre de producteurs pour éliminer la concurrence », raconte celui qui témoigne d’une solidarité « remarquable » et « même inattendue » des producteurs conventionnels dans sa bataille.

À titre d’exemple, M. Péricard explique qu’il doit avoir la certitude qu’il n’y a aucune culture d’organismes génétiquement modifiés ou traités avec des substances interdites, à 3 km à la ronde autour de sa production. « En Europe, ils n’ont besoin que d’avoir 50 % du territoire qui soit exempt de contamination. Pourquoi? »

Autre exemple : les apiculteurs biologiques doivent privilégier le miel biologique, le nectar ou le pollen correspondant aux normes pour nourrir les abeilles, même en période d’hivernation. Du côté des apiculteurs conventionnels, on a plutôt recours au sucre blanc.

UN MODÈLE ÉPROUVÉ, MAIS UNIQUE

Après des décennies à entretenir l’apiculture comme passion, mais aussi à s’être consacré comme journaliste pigiste en Afrique, consultant pour les Nations Unies et professeur-chercheur en communications à McGill, Alain Péricard choisit aujourd’hui de contribuer au dynamisme de l’apiculture écologique. Au creux de sa parcelle, il produit son miel et enseigne ses techniques sans faire le moindre compromis avec ses valeurs, qu’elles soient éthiques, environnementales ou sociales.

« S’intéresser aux abeilles, c’est s’intéresser à l’environnement. S’intéresser à l’environnement, pour moi, aujourd’hui, c’est une question de survie pour l’espèce humaine », insiste le producteur.

« On fait des récoltes assez exceptionnelles en ce moment », se réjouit-il d’ailleurs. Ses chiffres ne mentent pas : l’an dernier, il a récolté une moyenne de 100 kg de miel par ruche. En 2021, le rendement moyen était plutôt fixé à 31,5 kg par ruche dans la province.

Reconnu par ses pairs et critique de la mode des jardiniers-maraîchers-conférenciers avec une formule toute faite, il martèle qu’il n’y a pas de recette magique. Il y a d’abord la recherche constante d’information, l’étude empirique, mais surtout, la vision d’ensemble de sobriété et d’agroécologie autour de laquelle il a choisi de bâtir sa production.

« Ici, on fait du maraîchage, de l’apiculture, on a des poules pondeuses, on a des poulets, on fait des shiitakes, des plantes médicinales comme du ginseng, etc. Tout ça est vraiment interrelié. Les abeilles bénéficient de la présence des poules, vice-versa. Au début, quand on a commencé les shiitakes, c’était la folie, tout le monde en voulait. Aujourd’hui, tout le monde en fait. »

Il faut donc toujours être en évolution, croit-il. « C’est un élément clé de notre concept de ferme. Les agriculteurs ont tendance à croire un moment donné qu’ils maîtrisent un modèle et même à ne pas trop donner leurs trucs parce qu’ils s’imaginent que c’est un secret industriel. Erreur, erreur. Il faut toujours être en avance. »

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