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Ces verbes qui font défection, la suite

STEVE BERGERON SÉANCE D’ORTHOGRAPHE steve.bergeron@latribune.qc.ca Questions ou commentaires? Steve.bergeron@latribune.qc.ca

Ma chronique sur les verbes défectifs ayant suscité un bel enthousiasme de votre part, je reviens sur le sujet, avec d’autres verbes de cette catégorie, mais dont je n’ai pas parlé la semaine dernière, faute d’espace.

Comme je vous le disais donc, la langue française est truffée de rejetons de verbes qui ont presque ou totalement disparu de nos dictionnaires courants.

Saviez-vous par exemple que le mot manoir est un vieux verbe qui voulait dire demeurer? Il vient du latin manere, lequel a donné un autre verbe déchu, maner. Plaisir et loisir étaient aussi initialement des verbes.

Également désuet, issir (sortir) a laissé comme trace son participe passé issu et le nom issue.

Complètement disparu de l’usage, l’ancien verbe tistre (tisser) nous a légué son participe passé tissu, devenu nom.

Ouïr, c’est entendre. Quelque chose qui n’a jamais été entendu, c’est donc quelque chose… d’inouï. Mais de nos jours, inouï est un synonyme de « sans exemple, incroyable, extraordinaire, exceptionnel ».

Quant au verbe occire, il était très usité au Moyen Âge et sa déchéance est assez phénoménale en ce sens. Le Trésor de la langue française pense que l’incertitude entourant sa conjugaison, par rapport à la régularité de tuer, a probablement causé sa perte. Altération du latin classique occidere (couper, abattre en frappant, tuer, faire périr), occire se rencontre aujourd’hui dans le style littéraire, à l’infinitif, au participe passé (occis) et aux temps composés.

PEU ME QUOI?

Je n’ai pas eu la chance d’avoir feu Pierre Collinge comme professeur de grammaire à l’Université de Sherbrooke (il a pris sa retraite juste avant mon arrivée), mais mes confrères et consoeurs d’études qui m’ont précédé d’un ou deux ans m’ont tellement parlé des traumatismes qu’il leur a fait vivre…

Notamment les légendaires commentaires de correction qu’il laissait dans les marges des dictées. Du genre « HORREUR! » ou « C’EST UNE HONTE! »

Disons qu’il ne s’embarrassait pas avec les principes de la nouvelle pédagogie suggérant de placer l’élève en situation de réussite… En revanche, il savait fouetter ses troupes.

Et il y avait, chaque trimestre, ce moment où il insérait dans sa dictée, en mesurant bien son effet, un notoire « peu me chaut ».

Il s’agit d’une des dernières locutions usitées mettant en vedette chaloir, un verbe défectif.

« Peu me chaut » veut dire

« peu m’importe ». On peut aussi parfois tomber, dans la littérature française, sur des formes voisines, telles « il ne me chaut guère », « point ne m’en chaut », « rien plus ne leur chaut », mais elles sont encore plus rares.

Il ne faut pas chercher loin l’origine de chaloir : le verbe vient du latin calere, « être chaud ». Chaloir par rapport à quelque chose, c’est donc s’y intéresser, s’en inquiéter. Mais dès 1690, on qualifiait déjà chaloir de vieux mot.

On ne peut pas en dire autant de sa descendance. À la suite de chaloir est en effet apparu l’antonyme nonchaloir, lequel nous a donné l’adjectif nonchalant et ses dérivés (nonchalance, nonchalamment), toujours bien vivants aujourd’hui.

Quant au participe présent chalant, il a fini par se transformer en chaland et par désigner un amateur, un protecteur, une personne ayant un grand intérêt pour quelqu’un ou quelque chose. Par exemple, on pouvait dire d’une dame appréciée des hommes qu’elle avait beaucoup de chalands.

Mais comme chaland est aussi entré dans l’usage pour nommer les fidèles clients d’un marchand, les lieux et commerces très fréquentés ont été qualifiés… d’achalandés!

Finalement, il reste un québécisme, ne provenant pas directement de chaloir selon les étymologistes, mais tirant sa source de la même racine latine.

D’instinct, que direz-vous si une personne se chaut trop de vous?

Qu’elle est achalante!

VACANCES ESTIVALES

Je me sens coupable de vous annoncer ça, mais Séance d’orthographe fait, à partir d’aujourd’hui, une pause pour la belle saison. Comme je vous en parlais récemment, la chronique aura 20 ans en septembre et je souhaite souligner dignement cet anniversaire. L’été ne sera donc pas de trop pour réfléchir sur les façons de marquer cette étape.

Mais je ne vous cacherai pas que j’ai aussi besoin de ce temps d’arrêt pour reprendre mon souffle. En tant que chef des pages culturelles de La Tribune, il devient de plus en plus difficile de mener à bien cette tâche tout en vous livrant chaque semaine une chronique rigoureuse, fouillée et pertinente. Et après deux décennies, trouver des sujets qui m’enthousiasment toujours tout en suscitant votre intérêt, sans être trop répétitif, fait partie du défi. Les trois prochains mois ne seront pas de trop pour mettre quelques idées en banque.

C’est donc pour prendre un peu de recul que je suspends temporairement la publication de cette chronique que je sais grandement appréciée par vous. Vos messages me le rappellent chaque semaine. Je vous invite quand même à me faire parvenir vos questions et interrogations, elles continueront d’enrichir ma réserve.

Je vous souhaite, chers lecteurs et lectrices, un été magnifique, et j’ai déjà hâte de vous retrouver à l’automne.

PERLES DE LA SEMAINE

À la suite de cet examen sur l’Antiquité, ces élèves se sont fait dire d’« anti-quitter » la classe pour étudier davantage.

La toute première gare a été celle du mont Parnasse.

Pour se distraire, les Romains faisaient courir des chevaux attachés à des caddies.

Pour prédire l’avenir, on interrogeait les hospices (auspices).

Les druides mettaient du gui dans leurs cheveux et jouaient de la guitare comme des hippies.

Vercingétorix était un grand général de Gaule.

Source : Le sottisier du bac, Philippe Mignaval, Hors Collection, 2010.

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