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« ON VOIT TROP DE JEUNES AVEC DES CANCERS DE LA PEAU »

JEAN-FRANÇOIS GUILLET

GRANBY — Alors que le nombre de cancers de la peau prend de l’ampleur depuis des décennies au Québec, on pourrait croire que le fléau ne touche pratiquement pas les jeunes. Or, c’est loin d’être le cas.

Les statistiques du Registre québécois du cancer sont éloquentes. En 1984, on a recensé 260 cas de mélanomes, un type de cancer de la peau très répandu. Au cours de cette même année, 75 personnes en sont mortes. On a atteint près de 2100 cas en 2019, avec un sombre bilan de 235 décès. Cette progression du nombre de personnes ayant développé des mélanomes est marquée chez les 30 à 49 ans, passant de 83 cas en 1984, à 28 735 ans plus tard.

« Dans ma pratique, je vois plus de jeunes que je le voudrais. La patiente la plus jeune que j’ai traitée pour un mélanome avait 12 ans. Et j’en ai beaucoup dans la vingtaine », indique le chirurgien oncologue Ari N. Meguerditchian, spécialiste du mélanome et du cancer du sein.

Selon l’oncologue, qui pratique depuis 15 ans à la clinique du mélanome du Centre de santé de l’Université McGill, « des choix de vie » de gens de cette tranche d’âge sont susceptibles d’ouvrir davantage la porte à l’apparition de mélanomes. « On s’expose au soleil sans protection, on va dans les cabines de bronzage. La composante cosmétique influence beaucoup de jeunes. »

Briser le cycle de ces mauvaises habitudes de vie est souvent difficile, fait valoir le Dr Meguerditchian, faisant le parallèle avec le tabagisme. « Parfois, quand on est jeune, c’est difficile de se projeter dans la soixantaine avec un cancer. C’est beaucoup plus facile de penser à l’instantanéité de la belle photo sur les médias sociaux qui vous donne cette [fausse] allure d’un teint santé. »

Sa collègue, la dermatologue Dre Béatrice Wang, dresse un constat similaire de la situation. L’importance de la protection solaire est un message ardu à passer. « C’est toujours très difficile de convaincre les jeunes des effets néfastes des rayons UV, dit celle qui pratique également à la clinique du mélanome. On voit trop de jeunes avec des cancers de la peau. Ce n’est pas une question de température, mais bien de lumière. Et malheureusement, c’est très à la mode d’être bronzé. Les gens ne réalisent pas que c’est un signe de dommages des ADN. Pas un signe de santé. »

La Dre Wang souligne par ailleurs que le mélanome est le cancer le plus répandu chez les personnes de moins de 50 ans.

PRÉVENTION

Le cancer de la peau a « d’énormes répercussions », entre autres au niveau des coûts pour la société, font valoir les deux spécialistes. « On ne met pas assez d’argent en prévention. On est toujours en mode rattrapage en soignant les gens. Mais il faut travailler davantage en amont », estime la Dre Wang.

Le dépistage systématique des clientèles à risque de cancers de la peau est impossible à mettre en place, fait valoir la dermatologue. Notamment en raison du manque de ressources spécialisées dans le domaine.

Certaines percées technologiques sont toutefois prometteuses. L’Association des dermatologues du Québec a mis en place un programme de télémédecine permettant aux omnipraticiens d’envoyer des photos de lésions suspectes à des spécialistes. « Ce n’est pas parfait, mais ça aide à prendre en charge plus de patients qui ont besoin de voir un dermatologue », dit la Dre Wang.

Il y a trois types de cancers de la peau qui se manifestent sous différentes formes. Un des aspects préventifs consiste pour la population à les déceler. « Il y a une part de responsabilité individuelle. Ça passe par l’éducation. Chaque personne doit bien connaître son corps et voir s’il y a des changements », indique le Dr Meguerditchian.

Le premier en importance est le carcinome basocellulaire. « Souvent, c’est un bouton qui ne guérit pas dans les endroits les plus exposés au soleil, explique la Dre Wang. Comme la tête et le cou. »

Le second est le carcinome spinocellulaire. Selon la Société canadienne du cancer, ce type de lésion « se manifeste parfois sur des surfaces de peau blessées ou enflammées comme des cicatrices, des brûlures et des lésions ou des ulcères qui ne guérissent pas. Il peut aussi prendre naissance sur la peau qui entoure l’anus et le vagin. »

Le mélanome est davantage lié à des grains de beauté qui changent de forme, de couleur, de diamètre.

TRAITEMENTS

Bien que le cancer de la peau soit un véritable fléau, les pronostics de survie ont grandement évolué, notamment avec les percées médicales.

« Au cours de la dernière décennie, on a vu énormément de changements. [...] Les choix de traitements se sont multipliés, notamment au niveau de la gestion du risque de récidive, avec l’arrivée de l’immunothérapie et la thérapie ciblée », explique le Dr Meguerditchian.

« Il y a quelques années, avec un mélanome de stade 4, le taux de survie était de 5 %, affirme Dre Wang. C’était incroyablement bas. Avec l’immunothérapie, il y a eu un bouleversement. Maintenant, le taux de survie sur cinq ans est de 60 %. C’est une progression énorme. Mais il y a quand même 40 % des gens touchés qui vont en mourir. C’est donc primordial de prendre les cancers de la peau très au sérieux. »

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2023-06-03T07:00:00.0000000Z

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