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Un lustre trompeur

MARC CASSIVI

MONTRÉAL — Certains seront tentés de dire, en voyant L’immensité, nouveau film d’Emanuele Crialese (Respiro), que l’on a encore plaqué sur le passé des concepts du présent. En l’occurrence, le questionnement sur l’identité de genre. Ce serait faire abstraction du fait que cette histoire est, en grande partie, celle qu’a vécue le cinéaste italien au début de l’adolescence.

L’immensità est une chronique familiale, campée à Rome dans les années 1970, à propos des Borghetti, couple marié à la dérive et ses trois enfants. Adriana (Luana Giuliani), l’aînée délurée de 12 ans, tient à ce qu’on la traite comme un garçon, même si elle est née dans un corps de fille. On la surnomme Adri, mais elle préférerait qu’on l’appelle Andrea, un prénom masculin en Italie.

Comme elle semble être une énigme pour les gens qui l’entourent, Adri est convaincue qu’elle a été envoyée sur terre par des extraterrestres. Sa plus grande complice est sa mère, Clara (Penélope Cruz), malheureuse en ménage et dépressive, qui étouffe dans le modèle de famille traditionnelle italienne, encore plus machiste à l’époque. Clara ne peut laisser libre cours à sa fantaisie et à ses élans de liberté réprimés qu’en présence de ses enfants, qui sont à la fois sa bouée et son carcan.

Le film d’Emanuele Crialese se joue essentiellement sur deux tableaux : celui de la fille qui se sent fils — et qui découvre les premiers émois amoureux — et celui de la femme au foyer au bord de la crise de nerfs, qui n’aime plus son mari. Penélope Cruz, qui joue en italien ce personnage d’immigrante espagnole à Rome, est particulièrement lumineuse.

ACCENTS D’ALMODÓVAR

Sans doute en raison de la forte présence de la comédienne, l’hommage de Crialese à sa propre mère, et à la jeune fille qu’il a été, semble avoir au départ des accents d’Almodóvar. Il y a aussi cette jolie scène, d’entrée de jeu, où Clara fait semblant de chanter en dansant avec ses enfants, pendant qu’ils mettent le couvert selon une chorégraphie bien précise, au son d’une vieille chanson pop italienne.

Malgré ses atours rétro de mélo charmant, L’immensità n’est pas un film léger. Il y est question de violences conjugales, physiques et psychologiques, et de désarroi d’une jeune fille devant un constat : le corps dans lequel elle est née n’est pas celui qui lui correspond.

Plusieurs séquences musicales, intermèdes pour la plupart oniriques, permettent heureusement au récit de respirer. Adri s’imagine notamment sur le plateau d’une émission de variétés italienne, où elle se substitue au chanteur rock Adriano Celentano et sa mère, à la diva pop de l’époque, Rafaella Carrà.

Grâce à une mise en scène particulièrement soignée et élégante, le premier film d’Emanuele Crialese en onze ans, présenté l’an dernier à la Mostra de Venise, se distingue favorablement de la plupart des récits d’apprentissage nostalgiques. Ce film coscénarisé par Crialese est en revanche plutôt lisse, au regard de la lourdeur des sujets qu’il traite. Comme si le polaroïd que le cinéaste avait gardé de sa jeunesse pourtant difficile avait conservé un lustre trompeur.

L’immensité est présenté en version originale italienne avec soustitres anglais, avec sous-titres français et doublé en français.

Au générique

Cote : 7/10 Titre : L’immensité Genre : Drame Réalisateur : Emanuele

Crialese

Distribution : Penélope Cruz, Luana Giuliani et Vincenzo Amato

Durée : 1 h 37

CINÉMA

fr-ca

2023-06-03T07:00:00.0000000Z

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