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LES FERMES BIOLOGIQUES EN PÉRIL

La pandémie a créé une forte demande pour les produits locaux et biologiques. Mais, trois ans plus tard, de nombreuses exploitations vacillent. Il y a pourtant des solutions à explorer pour redonner le goût du bio au consommateur.

CÉLINE FABRIÈS

QUÉBEC — Le Québec se démarque des autres provinces dans la production biologique. Selon l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA), 10 % des entreprises agricoles sont biologiques contre 3 % pour l’ensemble du Canada.

« Avec la pandémie, les gens cuisinaient plus. Ils voulaient également de bons produits. Les paniers de fruits et légumes étaient très populaires et la demande supérieure à l’offre », explique le président de l’UPA, Martin Caron.

Les agriculteurs ont augmenté leur production et ont investi pour protéger leurs cultures afin d’être en phase avec cet afflux de nouveaux clients. Mais ces derniers mois, l’inflation et la fin de la pandémie sont venues bouleverser les habitudes de consommation, mettant en péril de nombreuses fermes de proximité.

BAISSE DES INSCRIPTIONS

France Marcoux, propriétaire du Potager France Marcoux à Beauport, a commencé la culture de produits certifiés biologiques en 2016. Cet automne, elle a dû se résigner à augmenter de 2,8 % le prix de ses paniers.

« Produire bio est devenu un véritable enjeu. Les intrants et les semences coûtent beaucoup plus cher cette année. C’est la première fois que cela augmente autant. Juste les salaires, c’est quelque chose », signale France Marcoux.

Les paniers estivaux de Mme Marcoux subissent également une hausse, avec pour conséquence immédiate une baisse des inscriptions.

« Peut-être que ça va s’inscrire à la dernière minute, mais pour l’instant ce n’est pas la grande affluence. Dans le passé, on était déjà complet », s’inquiète-t-elle.

«DINDONS DE LA FARCE»

Pour s’en sortir financièrement, Mme Marcoux envisage de mettre un terme à la culture biologique pour retourner vers le conventionnel avec une utilisation intelligente des pesticides. « Vous m’auriez posé la question il y a trois mois, je vous aurais répondu que je restais dans le bio, mais là je ne sais plus. La main-d’oeuvre dans le bio se fait rare, le travail est plus difficile pour un rendement qui est moindre. »

Pour le directeur du Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation à l’Université Laval, Patrick Mundler, les producteurs biologiques partent avec deux prises contre eux.

« Le système conventionnel est à la source de problèmes collectifs et tout le monde va payer pour ça. C’est ce qu’on appelle une externalité en économie. L’émetteur du problème ne prend pas en charge le coût. À l’opposé, le marché paye le différentiel de qualité du bio. C’est un peu injuste comme phénomène global. D’un côté, il y a des gens qui font mieux, mais on compte sur le marché pour le prendre en compte. De l’autre, des gens qui font “moins bien“, mais qui ne sont pas pénalisés pour ça », explique-t-il.

Selon un sondage récent de l’Union des producteurs du Québec

— Francine Pomerleau, propriétaire de la ferme Vallée des prairies

«Les gens voulaient consommer bio et étaient prêts à payer pour ça. Ce n’est plus le cas maintenant. Les gens ont lancé la serviette et préfèrent se payer des loisirs plutôt que de se nourrir correctement.»

(UPA), une entreprise sur cinq se trouve en mauvaise ou très mauvaise situation financière.

« On est rendu les dindons de la farce. Je travaille 60 heures par semaine et je n’ai pas de fonds de retraite », réagit Francine Pomerleau, propriétaire de la ferme Vallée des prairies située à Saint-Françoisde-la-Rivière-du-Sud.

Productrice biologique depuis 1980 et certifiée, Mme Pomerleau a connu l’âge d’or du bio entre 1987 et 1997. « Les gens voulaient consommer bio et étaient prêts à payer pour ça. Ce n’est plus le cas maintenant. Les gens ont lancé la serviette et préfèrent se payer des loisirs plutôt que de se nourrir correctement », déplore-t-elle.

Une vision partagée par plusieurs agriculteurs interrogés par dont Jérôme Ouellet, copropriétaire de Hortus Fungi, une ferme maraîchère bio-intensive sur petite surface à Saint-Nicolas. « Les heures de travail sont longues et peu valorisées. Les prix ne sont pas représentatifs de notre travail. Le bio est considéré comme un produit de luxe. C’est l’une des choses qui saute en premier avec le contexte inflationniste. »

CHANGER LES MENTALITÉS

S’il se pose beaucoup de questions, M. Ouellet n’envisage pas pour l’instant d’arrêter ses cultures biologiques. Mais les nombreuses difficultés auxquelles il doit faire face pourraient finir par plomber sa vocation. « Je n’ose pas trop me poser la question. Le jour où je n’aurai plus de fun, je vais arrêter », avance-t-il.

Selon Patrick Mundler, l’alimentation ne représente que 16 % du budget des Québécois. « Avec l’inflation, les gens se sont mis à compter et à couper dans les dépenses alimentaires pour ne pas réduire d’autres dépenses comme les loisirs. On ne paye pas assez cher pour se nourrir et cela aura des conséquences dans le futur », martèle-t-il.

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2023-06-03T07:00:00.0000000Z

2023-06-03T07:00:00.0000000Z

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